Retour sur le mois de l'architecture 2014 dans la Nièvre.
Ci dessous, le texte d'introduction de Patrice WARNANT, pour la journée de conférence
du jeudi 06 Novembre 2014.
Maisons sont / Maisons seront
Dans le cadre du Mois de l’Architecture contemporaine en
Bourgogne,
faisant suite à l’événement mémorable que fut la révélation
pour le plus grand nombre de Neversois du quartier englouti
des Pâtis,
il y a deux ans avec la création d’une fabuleuse exposition dans la rue et
l’édition d’un livre non moins fabuleux,
les architectes regroupés au sein de l’association A58 ont souhaité se
pencher sur un élément de base de l’architecture, pour de nouveau aller
à la rencontre du « grand public ».
Ce présent colloque est le premier acte d’un temps de recherche,
jusqu’au prochain Mois de l’Architecture en octobre 2016 :
avec l’oscultation d’une maison, un focus d’une seule maison par année,
de 1900 à 2100… soit 200 maisons,
pour voir, revoir et dépasser le patrimoine, pour imaginer l’avenir, loin
devant nous, très loin.
Le projet de ce colloque “maisons sont/ maisons seront“
est né du souhait de créer un lieu de rencontres et d’échanges,
se situant dans une période complexe,
conséquente de la crise financière à résonance mondiale et locale,
subie socialement dans une époque en mutation,
subie professionnellement dans le secteur du bâtiment,
subie tout particulièrement dans les conditions de plus en plus difficiles
de la pratique du métier de l’architecture.
Le récent sondage commandé par l’Ordre des Architectes nous l’a
encore montré il y a quelques jours.
Nous pensons qu’il est urgent de retisser un lien avec le grand public,
Lien délaissé par nos aînés après guerre dans les Trente glorieuses,
Ce lien est à retisser avec l’une des bases de l’architecture qu’est
l’abri de la vie humaine : LA MAISON.
Les transformations actuelles qui affectent notamment la sociabilité, le
travail, les loisirs et les mobilités, engendrent des nouvelles pratiques de
l’habitation et se traduisent de manière complexe dans l’espace.
L’examen des territoires émergents est un moyen d’appréhender ces
recompositions : ils sont le miroir des mutations des sociétés humaines,
des modifications de nos rapports au temps, par rapport à l’espace, par
rapport aux autres, c’est à dire de la manière dont on vit ensemble.
Il s’agit d’un lien qu’il reste à trouver, à retrouver, à refabriquer, à
travailler,
à compléter pour le faire vivre avec le temps de l’investigation, le temps
de la recherche et de la prospective.
Nous essaierons de le faire dans les deux années qui viennent avec
votre soutien. Sans ce soutien, nous ne sommes pas grand-chose.
Maisons sont / Maisons seront
Actuellement, devant l’abondance de situations de tension
et par là même de temps dépensé à contrecarrer des futilités
rassurantes pour certains,
puisque justifiant ainsi leur position de pouvoir ou d’impuissance,
devant la tendance baissière de la rémunération du travail (au profit de la
financiarisation),
devant la complexification et la multiplication
tant des boucliers se dressant avec facilité,
que des parapluies s’ouvrant les uns par dessus les autres
(et se refermant parfois sous la pression de la rue),
l’Architecture est devenue un “sport de combat“,
comme le clame avec force et rugosité Rudy Ricciotti,
(en référence au documentaire de Pierre Carles à propos de Pierre
Bourdieu travaillant la sociologie comme une pensée en action),
métier de l’architecture pratiqué dans des conditions souvent
déplorables,
quand chacun croit savoir qui il est et qu’il ne sait plus où il est,
quand la confusion mène à la saturation et à un certain degré
d’aveuglement par le recopiage de modèles mondialisés, sortes de
bulles filtrantes, bulles suintantes et transpirantes,
voire à une déprime des projets,
loin des idées lumineuses développées par quelques penseurs,
théoriciens et praticiens éclairés qui se permettent de faire éclater avec
générosité les bulles, pour que chacun puisse mieux respirer.
Difficile de rester lucide pour mieux concevoir et construire,
quand toutes les ingénieries et administrations déclarées disent
connaître la vraie vérité.
Où sommes nous ? Où suis-je ?
Puis-je simplement faire un pas de côté pour mieux le faire partager ?
Philippe Madec nous dit :
“La présence architecturale, réelle ou virtuelle, est le fruit d’une
passion pour l’homme,
passion qui crée l’existence commune
et détruit le monde du pouvoir“
il conclut par “aux architectes de l’assumer“.
…Relevons les manches,
c’est aussi pour cela que nous sommes ici aujourd’hui
et nous l’assumons.
La réflexion croisée de multiples compétences,
de multiples expériences, de multiples responsabilités
durant cette journée d’échanges ne sera que la traduction d’un petit pas
de côté qu’il conviendrait d’amplifier pour mieux coexister
et pour mieux voir clair tout autour,
dans le champ vaste et holistique du développement durable,
champ qui relie l’écologie, l’économie, la culture et la société, là où tout
est interdépendant, comme pour apprendre à être présent à nous-
mêmes, à être humain.
L’utopie fait partie de cet oxygène :
nous en avons tous tant besoin, nous avons tous besoin de respirer.
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Merci à la DRAC de Bourgogne pour son soutien moral et financier
(merci tout particulièrement à Gaël Tournemolle, délégué à l’architecture)
Merci au soutien médiatique du Journal du Centre,
Merci au CAUE pour son rôle difficile de défricheur et de pédagogue,
Merci à Catherine Arthus-Bertrand pour la coordination de cette
manifestation.
Encore merci à tous ceux qui ont répondu positivement à notre proposition
de travail,
en étant intervenant et donc important,
en étant tout simplement présent et donc important.
Merci à vous tous qui êtes importants,
car l’utilité de l’Architecture doit être affirmée sans relâche,
sans relâche parce qu’elle n’est pas toujours reconnue,
et qu’elle concerne tous les citoyens.
L’Architecture est avant tout Pensée et Démarche.
Bonne journée de travail
(avec le cahier d’écolier pour inscrire et écrire l’essentiel et le faire partager).
Et si j’ai le temps, je terminerai par cette réflexion révélée par Lucien Kroll :
l’écologie, selon Ernst Haeckel (1866), est la science des relations.
Elle se vit comme l’inverse de la schizophrénie qui est exactement la non-
relation.
Pour Félix Guattari,
elle commence avec l’équité sociale, interraciale, intermonde ;
elle se continue avec la psychologie (quels comportements sont induits par
quel milieu ?)
et en troisième lieu seulement avec le souci physique de la technique.
Chaque palier n’a de sens qu’en fonction de tous les autres.
N’en est-il pas de même pour l’Architecture à partir du second palier,
puisque pour le premier palier, en démocratie il s’agit du rôle des hommes
et des femmes ayant un mandat politique.
Aujourd’hui la technique, vassale de l’économie,
a voulu renverser les rôles et prendre le pouvoir.
Il va falloir changer afin d’être ensemble pour habiter le territoire.
Beaucoup de travail en prévision…
Généreusement et bénévolement,
les architectes nivernais s’engagent au sein de A58 pour l’intérêt général.
Ils ne pourront continuer cette action qu’avec le soutien des
commanditaires publics et privés.
Pour mémoire, un observatoire effectué
durant quatre années montrait que
pas moins de trois quarts de la commande publique des marchés de
maîtrise d’œuvre dans la Nièvre avaient été distribués hors du département
(Il est vrai que les architectes nivernais sont mauvais. Tant pis pour eux).
Aujourd’hui, ici l’exode est vécu, dû en partie à ce manque de confiance.
« C’est toujours mieux quand ça vient d’ailleurs »
et quand on ne fait rien ou presque, alors on devient mauvais :
le contraire d’un cercle vertueux.
La simplification menée avec du bon sens, près de chez soi,
La proximité, le partage, l’entr’aide pourraient être un signe de renouveau,
voire d’exemplarité quant on entend parler de « nouvelles ruralités » ou
d’urbanités à réinventer.
Nevers, le 6 novembre 2014
Patrice WARNANT
Président de Architectes 58